"UBUNTU"

Publié le par R B

 

"Ubuntu"

 

 

C'est un mot bantou, et nous devrions le faire nôtre. Il est si riche

que les linguistes appellent à la rescousse une foultitude d'autres mots

pour en dire

les nuances. "Ubuntu", soit en langue savante : "la qualité inhérente

au fait d'être une personne avec d'autres personnes".


Quand il l'emploie dans son autobiographie,
Nelson Mandela le traduit en anglais par fellowship, littéralement camaraderie ou, dans le contexte, concitoyenneté.
En fait, l'"ubuntu" dit bien plus,
bien au-delà : une manière d'être humain,
une façon de se conduire en humain,
une pratique de l'humanité mutuelle.
Aussi, loin d'être réductrice, la traduction de Mandela est au coeur de l'invention politique sud-africaine, cette réponse sans précédent
apportée par les militants antiapartheid à la question posée par toute libération :
comment vivre ensemble après la haine, après la guerre civile,
après le crime contre l'humanité ?
Comment refaire lien là où il n'y avait que séparation ?

 

Leur réponse, nous la connaissons : en se réconciliant dans la vérité.

Il y a bientôt dix ans, en 1995, la Commission vérité et réconciliation,

présidée par Mgr Desmond Tutu,

était instituée par l'Assemblée constituante sud-africaine. Son pouvoir : accorder une amnistie individuelle, au cas par cas, en échange de la révélation complète de leurs crimes, aux auteurs de graves violations des droits de l'homme associées à un objectif politique.

Pas de vengeance, pas de représailles, mais pas d'oubli, pas de dérobade. "Faire face", dit la Constitution provisoire d'Afrique du Sud de 1993, à "un héritage de haine, de peur" sur la base "d'un besoin d'ubuntu et non de victimisation".

 

LIBÉRER L'OPPRIMÉ ET L'OPPRESSEUR

 

Des années d'auditions publiques, un total de 21 290 victimes

ayant saisi la Commission, 2 975 autres victimes découvertes en cours de procédures,

7 116 demandes d'amnistie, 1 312 accordées, 2 548 requérants entendus

en audience publique… Derrière ces chiffres,

une révolution politique dont on mesure encore à peine toute la portée.

Sous la plume de Mandela évoquant son martyre carcéral (Un long chemin vers la liberté, Fayard, 1995), le programme en est lumineux :

"Ma faim de liberté pour mon propre peuple devint une faim de liberté

pour tous les peuples, les Blancs et les Noirs…

Quand je sortis de prison, telle fut alors ma mission : libérer à la fois l'opprimé et l'oppresseur.

La vérité, c'est que nous ne sommes pas encore libres ;

nous avons simplement acquis la liberté d'être libres…"

Autrement dit, l'esclave libère le maître.

Pour prendre la mesure de ce renversement inouï,

il faut absolument lire, en les croisant,

deux ouvrages récents qui le donnent à voir :

le compte-rendu des travaux de Vérité et Réconciliation (Amnistier l'apartheid, Seuil, "L'ordre philosophique")

et les actes d'un colloque international tenu en 2003 à Paris (Vérité, réconciliation, réparation, Seuil, "Le genre humain", 15 €).

Pour être vraiment libres, il fallait refonder le contrat social, c'est-à-dire rompre avec la culture politique de la violence générée par l'injustice de l'apartheid. Coupables et victimes ont donc été invités à se faire face,

dans une confrontation où se joue le respect à venir.

L'amnistie générale, qui vaudrait amnésie, était exclue.

Seuls des actes particuliers, mettant en cause la relation concrète

entre êtres humains, étaient amnistiables, à condition qu'ils soient

pleinement reconnus par leurs auteurs.

 

LA VÉRITÉ EN FACE

 

Politique, cette réconciliation n'implique pas nécessairement

le pardon ou le repentir.

Seulement de faire face.

De regarder en face.

De dire la vérité en face.

Loin de toute simplification morale entre le Bien et le Mal,

la preuve en est que le champ de Vérité et réconciliation incluait

les atteintes aux droits de l'homme commises au nom d'une évidente

juste cause, la lutte contre l'apartheid, dont certains militants ont dû,

eux aussi, demander l'amnistie ou passer en jugement.

"Une guerre juste ne légitime pas la perpétration de violations graves des droits de l'homme pour la poursuite d'une fin juste", écrit la Commission, allant ainsi jusqu'au bout de cette conviction qu'une guerre juste

se propose d'atteindre une fin juste par des moyens justes.

Et qu'une paix durable et solide exclut l'injustice d'une justice

de vainqueurs.

En Irak, libéré mais occupé, où s'annonce le procès de Saddam Hussein, devant un "tribunal spécial" ayant à son programme la peine de mort,

la voie sud-africaine n'a, hélas, pas fait école.

C'est un autre pays arabe, le Maroc, qui vient de s'en inspirer avec

Equité et réconciliation, cette instance publique où les victimes du règne d'Hassan II livrent leurs témoignages.

Imitation certes imparfaite : pas de noms, pas de poursuites, absence des coupables. Mais événement totalement inédit où se joue la réponse à l'universelle question posée par ce graffiti qui orne la maison de Desmond Tutu au Cap :

"How to turn human wrongs into human rights ?"

"Comment faire du juste avec de l'injuste ?"

 

 

 

 

 

 

 

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Publié dans THÉORIE - PRAXIS

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