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Publié le par RBBR

Les révoltés du travail

 

Manière de voir n° 103 / Février - mars 2009

Quand l'économie comprime la société, parfois ça explose. Mais souvent, ça écrase. Des siècles d'expérience et des monceaux de théories n'y ont rien changé : la physique de la révolte obéit à une logique insaisissable. Le piston de la crise qui propulse dans les rues des foules hier encore assoupies agira ailleurs comme un pilon. Au mouvement irrésistible du Front populaire répond le coup d'assommoir des (...)

La suite de l'éditorial : Les invités-surprises


 

I. Résistances improbables

Carotte ou bâton, management par la peur ou par la séduction, culpabilisation, chantage à la survie - relever la tête, c'est s'exposer à perdre son salaire ou ses allocations -, désignation de boucs émissaires - chômeurs, immigrés, fonctionnaires - sur lesquels détourner l'expression de sa colère et de sa rancoeur, abrutissement médiatique... Plus ou moins sophistiqués en fonction du contexte et du rapport de forces, les moyens ne manquent pas pour garantir la docilité des soldats de l'économie.

 

En général, ces moyens fonctionnent plutôt efficacement. Mais il arrive aussi qu'un grain de sable vienne bloquer les rouages de la machine à exploiter. L'analyse lucide du mécanisme dont on est le jouet, le refus de tolérer plus longtemps les abus que l'on subit déjouent les prévisions et subvertissent les conditions dans lesquelles ils prennent naissance : à propos du mouvement des chômeurs de l'hiver 1997-1998 en France, Pierre Bourdieu parlait de « miracle social ». Aucun système, si désespérant et verrouillé qu'il paraisse, si vulnérables que ses victimes puissent sembler, ne peut se prémunir contre la menace d'un tel surgissement.

Rien d'étonnant si, depuis une bonne trentaine d'années, l'organisation du travail a visé la fragmentation des « ressources humaines » : dès lors que vous le laissez côtoyer de façon durable ses compagnons de galère, l'être humain manifeste une fâcheuse propension à s'entendre avec eux pour démultiplier ses forces et fomenter des révoltes.

L'issue de ces confrontations peut être tragique ; il arrive aussi qu'elle soit heureuse et débouche sur des améliorations tangibles. Dans tous les cas, ces failles dans l'ordre des choses marquent profondément les consciences, au point parfois de passer à la postérité. Le XXIe siècle se souvient encore d'un certain Spartacus et de son armée d'esclaves, dont l'épopée remonte à l'an 73 avant Jésus-Christ...

Manière de voir n° 103 / Février - mars 2009

 

 

II. Luttes organisées

Améliorer l'ordinaire des salariés tout en préparant leur émancipation : à cette « double besogne, quotidienne et d'avenir », du syndicalisme révolutionnaire, définie en 1906 à Amiens, s'est peu à peu ajoutée une troisième tâche - celle qui consiste à défendre les conquêtes, et les emplois eux-mêmes. Les révoltés du travail s'étaient organisés, en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, pour arracher les droits les plus élémentaires ; c'est « tous ensemble » qu'ils refusent qu'on les leur retire.

Décrié par les puissants, boudé par les salariés, le syndicat forme la dernière digue quand la tempête économique dépeuple bureaux et ateliers.

Si elle s'est faite plus discrète ces dernières années, la conflictualité au travail couve comme le feu sous la cendre. Ses formes évoluent, notent les chercheurs ; elle explose au nez de ceux qui diagnostiquent sa fin. Mais ces conflits ne s'inscrivent plus, comme autrefois, dans un système de valeurs largement partagé. La révolte est orpheline du projet de société qui la portait vers l'abolition du salariat.

Reconstruire un mouvement social impliquerait de mettre en lumière les intérêts communs de catégories sociales fragmentées - précaires, chômeurs, femmes, immigrés -, dont beaucoup demeurent les parents pauvres de la culture syndicale.

Quand les données officielles dévoilent la vitalité des conflits sociaux
S. Béroud, J.-M. Denis, G. Desage, B. Giraud et J. Pélisse

1905-1995, un siècle de batailles ouvrières
Michel Dreyfus

Petites chroniques d'une crise annoncée
Gilbert Rochu

S'organiser en temps d'apartheid
Jean-Pierre Richard

A Chicago, la lutte syndicale a payé
Peter Dreier

Les femmes dans les luttes sociales
Geneviève et Thérèse Brisac

La Commune de Longwy
Pierre Rimbert et Rafaël Trapet

Pour un mouvement social européen
Pierre Bourdieu


 

 

III. Nouveaux horizons

La grève est une école. On y entre d'abord avec appréhension, comme s'il fallait marcher dans le vide. Et, surprise, le sol ne se dérobe pas sous les pieds. L'ordre hier encore inaltérable se fissure, ses mirages se dissipent. Des idées, des pratiques, des formes d'organisation collectives, une chaleur, un avenir - la vie - s'y réinventent au quotidien : conseils ouvriers, congés payés, autogestion... Quand la puissance du groupe dépasse la somme des forces individuelles, tout paraît possible.

Le rêve d'une société égalitaire, dans laquelle le travail cesserait d'être une malédiction - soit parce qu'il respecterait les aspirations et la dignité de chacun, soit parce qu'il aurait été aboli -, n'a jamais cessé, en particulier depuis la révolution industrielle, de hanter les imaginations.

Que ce soit à l'échelle de quelques dizaines de personnes ou d'un pays entier, il arrive que ce rêve devienne réalité. Il connaît alors des fortunes diverses. Les expériences menées pendant la Commune de Paris en 1871, dans l'Allemagne de 1919, l'Espagne de 1936 ou le Chili du début des années 1970 ont été balayées dans le sang ; le système soviétique a dévoyé le sens du communisme dans le crime de masse.

Plus modestes, des projets alternatifs se développent. L'Ecosse, en 1999, profite de son autonomie vis-à-vis de la libérale Angleterre pour faire sa réforme agraire ; les petites communautés de Longo Maï restent fidèles aux idéaux de l'après-68. Tandis que s'étoffe la revendication d'un « revenu d'existence » découplé du travail.

Les inventeurs de mondes
Mireille Azzoug

Ambiguïtés de l'économie sociale et solidaire
Jean-Loup Motchane

Redistribution des terres en Ecosse
Alastair McIntosh et Vérène Nicolas

A Longo Maï, réussites et tâtonnements
Ingrid Carlander

L'Espagne, royaume de l'anarchisme
Frédéric Goldbronn et Frank Mintz

Les travailleurs et l'autogestion au Chili et au Pérou
Michel Raptis

Un chef-d'oeuvre pour saluer une révolution
Lionel Richard

Bâtir la civilisation du temps libéré
André Gorz

 

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