CRISE ENERGETIQUE

Publié le par BR

L’ancien administrateur du Commissariat à l’énergie atomique plaide pour la recherche et l’entraide entre États.

Quel avenir pour le pétrole ?

Claude Aufort. On va vers une crise extrêmement aiguë. Le pétrole va s’épuiser progressivement avec une diminution du débit sortant des puits. Les projections les plus optimistes estiment que le pic de production, qui marquera le début de la déplétion, se situe aux alentours de 2015. Ce ne sont pas des évaluations politiques des groupes pétroliers, mais celles de spécialistes qui se basent sur la physique de la Terre. On est donc bien face à une crise énergétique inévitable. Elle n’est pas politique, comme en 1973 et 1979, mais due aux limites mêmes de la planète en matière de ressources fossiles.

Quelles peuvent en être les conséquences ?

Claude Aufort. Face à cette échéance inéluctable, nos sociétés ont deux problèmes à résoudre, notamment pour nos transports à base de pétrole sur lesquels s’appuie entièrement la mondialisation libérale. Le premier, de fond, est de trouver les systèmes énergétiques que nous pourrons développer dans le futur. Tout en sachant que modifier un système énergétique est un véritable changement de civilisation, qui prend une trentaine d’années et demande des efforts à hauteur de ceux consentis pour la reconstruction de la France en 1945. Le second problème sera de gérer la transition. Avec deux scénarios inquiétants en perspective. La baisse de production du pétrole fait que l’offre ne va plus répondre à la demande qui, elle, est en véritable expansion avec l’arrivée sur le marché de pays comme la Chine et l’Inde. Fatalement, le prix du baril va donc continuer de croître, entraînant un essoufflement durable de l’économie mondiale et, à terme, une crise comparable à celle de 1929. Le second scénario est encore plus dramatique : si aucune décision majeure n’est prise aujourd’hui, l’augmentation incessante de la demande énergétique va entraîner des situations conflictuelles dans le monde, dues notamment à ceux qui veulent mettre la main sur ce qui reste de pétrole. On peut donc facilement envisager, dans ce cas, un baril à 300 dollars... Et une tension économique doublée d’une tension guerrière et terroriste.

Comment peut-on réagir ?

Claude Aufort. Il faut engager, dès maintenant, des investissements extrêmement lourds dans la recherche. Les nouvelles sources d’énergie, notamment pour le transport, ne peuvent venir que de là. Cela serait plus simple si les questions énergétiques étaient maîtrisées par le secteur public. Malheureusement, dans le cadre de la libéralisation actuellement à l’oeuvre, on se dirige plutôt vers les deux scénarios catastrophes. Pour les décennies à venir, le défi est clair : il faut tout à la fois augmenter l’efficacité de nos systèmes énergétiques et en réduire au maximum la consommation. Pour ce faire, le développement de toutes les sources d’énergie, sans ostracisme, est incontournable. Dans cette optique, envisager d’abandonner le nucléaire est sans conteste une bêtise monumentale.

Pour quelle raison ?

Claude Aufort. Dans le domaine des transports, il n’y a pas trente-six solutions crédibles. 1) La voiture à hydrogène demande encore beaucoup de recherches sans certitude de réussite. Cette source d’énergie, par ailleurs, nécessite une grande production d’électricité et donc de nucléaire. 2) La voiture électrique, dont la solution réside dans la pile à combustible, laquelle se fournit en hydrogène, pose également la question du nucléaire.

3) La voiture à air comprimé, qui demande un effort de recherche extrêmement important. 4) La voiture hybride (électrique + essence) qui peut être un élément de transition, même si, compte tenu de sa complexité, elle ne pourra jamais être aussi bon marché que les véhicules actuels.

Et si ces solutions n’aboutissent pas ?

Claude Aufort. Avec les moteurs à combustion d’aujourd’hui, il faudra limiter la consommation de pétrole. Donc restreindre l’usage de la voiture particulière et développer d’autres modes de transport plus économes, comme le ferroutage, le transport maritime et fluvial, et encourager les transports en commun. En même temps, il faudra essayer de trouver de nouveaux carburants, comme les carburants synthétiques et les biocarburants. Tout en sachant qu’ils ne pourront jamais remplacer le pétrole et, dans le cas des carburants synthétiques, produits à partir de gaz et de charbon, qu’ils aggraveront les émissions de CO2.

Ces changements dans l’organisation des transports mondiaux supposent des investissements colossaux...

Claude Aufort. Tout à fait. Et penser que le libéralisme et les groupes privés accepteront d’investir à très long terme pour ce changement radical est une pure utopie. Il y a donc urgence, aujourd’hui, à ce que l’ensemble des États européens reprennent en main, dans le sens de l’intérêt général, les questions du transport et de l’énergie. La priorité ne doit pas être la « concurrence libre et non faussée », mais bien la coopération entre États. Il va falloir passer d’une société du toujours plus à une société du toujours moins d’énergie primaire, c’est-à-dire du toujours plus efficace. Seuls des services publics rénovés peuvent conduire cette mutation énergétique de la société.

 

Publié dans THÉORIE - PRAXIS

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