| PARMI LES MILLIERS DE LANGUES DU MONDE : LE FRANÇAIS par Henriette Walter Par un caprice du hasard, les dix mots choisis cette année pour la semaine " Le français comme on l'aime " sont d'origine latine pour huit d'entre eux (beauté, encore, flamme, inspiré, nuance, oiseau, quelqu'un, voyage) et d'origine grecque pour les deux autres (kyrielle et utopie). Le hasard a cette fois bien fait les choses puisque le latin et le grec occupent une place de choix parmi les langues d'Europe et du monde occidental. Qui plus est, ces langues appartiennent à la grande famille des langues indo-européennes, aujourd'hui parlées par la moitié de la population mondiale. Les langues indo-européennes A l'origine répandues uniquement en Europe et dans une partie de l'Asie, ces langues ont ensuite connu une expansion généralisée et, de nos jours, même dans le Nouveau Monde, les quatre langues principales sont indo-européennes : l'anglais, langue germanique, ainsi que le français, l'espagnol et le portugais, langues romanes. Si l'on considère que des langues comme le français, l'allemand, le russe, l'irlandais et même l'arménien, le persan et l'hindoustani sont issues de la même famille indo-européenne, c'est parce qu'on a pu, par la méthode comparative appliquée aux langues attestées, remonter à des racines communes. Ainsi, malgré l'évolution phonétique qui, au fil des siècles et des millénaires, a un peu brouillé les pistes, on a pu par exemple rapprocher les mots désignant le chiffre trois et qui sont : en français trois < latin tres, en anglais three, en allemand drei, en russe tri, en polonais trzy, en lituanien trips, en irlandais tri, et même en sanscrit trayas. Ces ressemblances ne peuvent pas être l'effet du hasard car elles sont encore confirmées par d'autres correspondances du même type pour les noms du père, de la mère, du cœur et du loup. Ainsi pour la mère : en français mère < latin mater en anglais mother, en allemand Mutter, en russe mat', en polonais matka, en lituanien motyna, en irlandais mathair, en sanscrit matar. Le mot qui désigne le cœur permet de constater qu'au /k/ du grec, du latin et des langues celtiques correspond un /h/ dans les langues germaniques et en sanskrit, et un /s/ dans les langues slaves : français cœur < latin cor (avec le c prononcé k) grec kardia irlandais cride anglais heart allemand Herz sanskrit hrd-, hrdaya russe serdce polonais serce lituanien sirdis C'est à l'occasion des déplacements des populations et des contacts avec des peuples parlant d'autres langues qu'a pu s'opérer la différenciation en diverses branches telle qu'on l'établit aujourd'hui : langues romanes (français, italien, espagnol, portugais...) langues germaniques (allemand, néerlandais, anglais, danois...) langues slaves (russe, tchèque, croate, slovène, bulgare...) langues baltes (lituanien, letton) langues celtiques (irlandais, gallois, breton...) langues helléniques (grec...) langues albanaises arménien langues indo-iraniennes (sanskrit, hindi-ourdou, bengali, tsigane... et d'autre part persan, kurde...). En contact avec les langues citées vivent aussi de nombreuses autres langues sur des territoires parfois réduits, comme le picard, le gascon ou le provençal en France, le vénitien, le frioulan ou le sarde en Italie, le catalan ou le galicien en Espagne... Des milliers d'autres langues Mais la diversité des langues du monde ne s'arrête pas aux langues indo-européennes. Ne serait-ce qu'en Europe, le finnois, le hongrois ou l'estonien sont de toute autre origine, tout comme le tchétchène ou le basque, pour lequel les diverses tentatives d'apparentement avec d'autres langues ont jusqu'ici échoué. On a pu par ailleurs regrouper, dans la famille sémitique : l'arabe dont l'expansion hors de son lieu d'origine a été favorisée par le développement de l'Islam ; l'hébreu, langue de la Bible, qui connaît depuis un demi-siècle une sorte de résurrection en Israël ; l'araméen, qui était la langue de Jésus. Proches des langues sémitiques, les langues chamitiques sont représentées par l'égyptien ancien ou les langues berbères, auxquelles on rattache, mais de façon beaucoup plus lointaine, les langues couchitiques, parlées dans la " corne de l'Afrique ". En dehors de ces langues, on trouve en Afrique plus d'un millier d'autres langues, dont plus de la moitié appartient au groupe bantou, comme par exemple le lingala, qui joue un rôle de langue véhiculaire commune entre des populations parlant diverses autres langues (en particulier au Congo et au Zaïre). Parmi ces langues, le zoulou mérite une mention spéciale car c'est la seule langue du monde qui compte dans sa prononciation des " clics ", qui sont des sortes de claquements de la langue ou des lèvres : un baiser sonore, dans la terminologie phonétique, est un " clic bilabial ". Dans l'impossibilité de citer les centaines de langues africaines, signalons que, comme le lingala, certaines d'entre elles jouent le rôle de langues véhiculaires, par exemple le wolof (au Sénégal), le dioula (en Côte d'Ivoire), le haoussa (au Niger), le bambara (au Mali), le swahili (au Kénya, en Ouganda)... En Asie, les langues se comptent aussi par centaines, mais le chinois est celle qui a le plus de locuteurs, avec des quantités de variétés différentes. Ce qui les relie toutes est leur écriture, qui est idéographique, c'est-à-dire que chaque caractère y représente le sens d'un mot et non pas, comme dans nos alphabets, sa forme phonique. Le chinois est apparenté au tibétain, au birman et au thaï, mais le vietnamien ne se rattache à aucune autre langue de l'Asie du sud-est. En japonais, on trouve des traits qui rapprochent cette langue du turc et du mongol, et d'autres traits qui évoquent celles du malais ou de l'indonésien. De son côté, le coréen, par certains de ses traits grammaticaux peut être rattaché au turco-mongol, mais ne peut l'être ni par son vocabulaire ni par sa prononciation. Au sud de l'Inde et au nord du Sri Lanka (Ceylan) sont parlées des langues dravidiennes (tamoul, malayalam). Il faut enfin signaler l'existence de multiples langues amérindiennes, parmi lesquelles le nahuatl (Mexique), le quechua et l'aymara (Pérou, Bolivie...), le tupi (Brésil), le guarani, langue nationale du Paraguay, l'iroquois ou le micmac (au Canada), le navaho ou le comanche (aux États-Unis)... Sont à classer à part : l'indonésien, les langues mélanésiennes ( Wallis et Futuna, Nouvelle Calédonie) et les langues australiennes. Enfin, donnons la place qui leur revient aux créoles, ces langues qui sont nées au XVIIème siècle dans les plantations, aux Antilles, en Guyane et dans les Mascareignes (Réunion, Maurice...) du contact de quelques langues européennes et des langues des populations importées d'Afrique. Au prix d'une simplification peut-être abusive, on peut dire que les créoles sont des langues jeunes, qui reposent sur des structures de langues africaines mais dont le vocabulaire est majoritairement européen (français, anglais, portugais, néerlandais). Ce trop rapide tour d'horizon n'a pu donner qu'un très faible aperçu de la diversité des langues dont chacune apporte sa propre vision du monde : un patrimoine commun à découvrir sans appréhension. | |