Annus horribilis ?
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-04-29/2006-04-29-829026
Annus horribilis ?
Si la droite au pouvoir continue de s’enfoncer comme elle le fait depuis
des semaines dans les surenchères et les règlements de comptes, l’année utile promise par Dominique de Villepin pour 2006 pourrait bien devenir pour notre pays l’« annus horribilis ».
L’isolement dans lequel le gouvernement s’est enfermé durant la crise du CPE sonnait déjà comme une alerte pour la démocratie. La violence avec laquelle Nicolas Sarkozy a lancé son offensive anti-immigrés pour tenter de refaire surface en chassant sur les terres du Front national n’était pas moins inquiétante.
Le combat à mort auquel se livrent désormais les deux prétendants de la droite sur fond de ventes d’armes et de commissions occultes dans l’affaire Clearstream ajoute à ce tableau désolant.
Le pays attend que l’on s’attaque en urgence au chômage, à l’insécurité sociale, au mal-vivre.
Les deux principaux protagonistes gouvernementaux ne vivent qu’au rythme de leur guerre à outrance.
L’un et l’autre voudraient prendre le pays à témoin après chacun de leurs coups tordus et de leurs mises en scène médiatiques, en obligeant les électeurs à choisir entre le « bon » et le « méchant ».
Sincèrement, on voit mal comment les départager, car c’est un système politique monarchique tout entier qui est à la dérive.
Ne nous y trompons pas, cette situation nourrit autant d’aspiration au changement que de dégoût, et les charognards de la politique sont en embuscade.
Les citoyens, les forces politiques et sociales ont à construire la relève, sans attendre, et dans la clarté.
À l’évidence, la compétition médiatique préfabriquée de stars présidentiables n’est pas de nature à relever ce défi.
Il ne suffit pas pour résoudre le problème que l’un se réclame de la droite
et l’autre de la gauche, loin s’en faut.
À gauche, grâce à l’obstination des forces qui ont décidé de ne pas se résigner à l’état actuel du paysage, éclaté et insatisfaisant, à commencer par les communistes, le débat commence à prendre forme.
Tant mieux.
Mais il y a encore beaucoup à faire et... plus du tout de temps à perdre.
Le plus important dans cette affaire, c’est que les exigences citoyennes, celles qui viennent de marquer la mobilisation anti-CPE par exemple, ou celles qui motivent le rassemblement contre la loi Sarkozy sur l’immigration, ne soient jamais mises en position d’en rabattre.
Cela suppose d’aller sans détour au fond d’un débat essentiel, que le dirigeant socialiste Jean-Christophe Cambadélis résumait hier à sa manière dans un entretien au Figaro. « Le PS est-il prêt à des compromis ? » lui demande le journal.
« Un compromis est une chose, répond le responsable du PS.
Promettre ce que l’on ne pourra pas tenir en est une autre. »
Parlons franchement, sans langue de bois : que signifie cela ?
Réalisme ou renoncement ?
Oui, poussons ce débat, concrètement, sur l’éradication de la précarité, l’interdiction des délocalisations, sur le droit de vote des étrangers, sur la promotion d’une VIe République, sur les droits des salariés dans l’entreprise, sur la création des emplois publics, l’extension des services publics...
Où est le réalisme pour la gauche ? Où est la dynamique de la victoire, de l’espoir ?
Coup sur coup, les batailles du référendum et celle du CPE viennent de montrer, à l’opposé d’une pédagogie de renoncement,
que l’intransigeance antilibérale était
la plus mobilisatrice, parce que la plus en phase avec l’acuité des urgences sociales.
Alors, quelles conclusions en tire-t-on à gauche ?
Les jeux ne sont pas faits.
L’idée d’un rassemblement, construit sur des bases antilibérales, jusque dans les candidatures à la présidentielle et aux législatives, fait son chemin.
La confrontation publique n’est pas un handicap pour y parvenir.
Au contraire, nous sommes dans ce moment indispensables pour le construire.
Editorial de Pierre Laurent