LA TERRE EST UN SYSTÉME FINI !?
Compte à rebours
La Terre est un système fini.
Ainsi formulée, la chose semble évidente. Au quotidien, elle passe pourtant inaperçue, tant les mesures de référence humaines sont distinctes des échelles terrestres. La différence est même si grande que nous avons toujours puisé sans compter dans des ressources imaginées, sinon infinies, du moins très grandes. Si la part que l’humanité prélève sur l’écosystème terrestre a longtemps été négligeable par rapport aux ressources disponibles, il faut bien reconnaître que, après une bonne cinquantaine d’années de croissance exponentielle, l’activité humaine rivalise désormais avec les forces de la nature.
Une façon de quantifier cette activité est de considérer l’énergie qu’elle consomme. Du point de vue du physicien, l’énergie représente la grandeur qui exprime la capacité d’un système à modifier l’état d’autres systèmes avec lesquels il est en interaction.
Une croissance exponentielle se heurte inévitablement, et beaucoup plus rapidement qu’on ne le croit, à la finitude des ressources de son environnement.
Prenons l’exemple de bactéries cultivées dans une boîte. Elles se reproduisent en se divisant et leur nombre double au bout d’un temps variable qui, pour prendre un exemple, peut ne pas dépasser 20 minutes.
Imaginons que la descendance d’une unique bactérie, placée à midi sur le milieu de culture, parvienne à saturer la boîte à minuit : dans ce laps de temps, le nombre de bactéries aura été multiplié par 68 milliards. Quand la boîte était-elle à moitié pleine ? A 23 h 40. Si nous étions l’une de ces bactéries, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace ? A 22 heures, quand la colonie n’occupe encore que 1,5 % du volume de la boîte, nous n’imaginons pas la catastrophe qui se prépare. Supposons qu’à 23 h 20, une bactérie particulièrement avisée commence à s’inquiéter. A grands renforts de moyens, elle lance un programme de recherche de nouveaux espaces. A 23 h 40, trois nouvelles boîtes sont découvertes, ce qui quadruple le volume disponible ! Cet accroissement des ressources, apparemment considérable, ne donnera pourtant qu’un répit de 40 minutes : la colonie étouffera à 0 h 40.
Avec les taux de croissance actuels, le temps de doublement de la consommation mondiale d’énergie est voisin de 50 ans. La crise que l’on annonce, et dont on perçoit déjà les premiers symptômes, n’est que la manifestation d’une croissance exponentielle dans un environnement fini. Peut-on estimer les échelles de temps mises en jeu ? Le calcul du temps de doublement de la consommation est une première tentative. Une autre façon de procéder consiste à calculer le rapport entre les réserves estimées d’une ressource et la consommation annuelle actuelle. La valeur obtenue est une borne supérieure au temps réel d’épuisement de la ressource considérée, car elle fait implicitement l’hypothèse – non vérifiée aujourd’hui – d’une stabilité de la consommation. Selon que l’on considère les réserves prouvées ou les réserves ultimes, les temps d’épuisement du pétrole, du gaz naturel et de l’uranium varient entre 40 et 120 ans ; pour le charbon, la situation est plus favorable : entre 220 et 850 ans (1). Du point de vue des ressources fossiles, minuit approche…
Quelles sont les possibilités d’allonger la durée du compte à rebours ? La première, qui tombe sous le sens, consiste à passer à un mode de développement plus lent, à croissance nulle, voire négative. Cette démarche est indispensable, même si sa mise en œuvre à l’échelle mondiale apparaît très difficile, tant la demande énergétique est forte. Chaque pas dans cette direction a cependant le mérite de faire gagner un peu de temps sur l’inéluctable disparition des ressources fossiles. Par ailleurs, le captage de l’énergie solaire, éolienne, géothermique, hydraulique, de la biomasse, de l’énergie des marées, des vagues ou de l’énergie thermique des mers permettrait également de ralentir l’épuisement des combustibles fossiles. Cependant, si l’on exclut le solaire, la puissance disponible dans les sources d’énergies renouvelables n’est supérieure que de quelques fois à celle consommée aujourd’hui. Si la croissance planétaire de la consommation se poursuit au rythme actuel, le temps viendra où les prélèvements satureront les capacités de renouvellement. La puissance disponible dans ces sources d’énergie impose donc une limite à la croissance de la consommation énergétique humaine, avec toutefois un avantage incontestable sur les boîtes à bactéries et les énergies fossiles : le stock disponible se renouvellera.
En revanche, la Terre reçoit du Soleil une puissance 13 000 fois supérieure à celle que consomme l’humanité. Le Soleil brille parce qu’il est chaud – sa température de surface est de l’ordre de 6 000 °C – et, en un peu plus d’un millionième de seconde, il rayonne autant d’énergie que l’humanité en produit en un an (2).
Ainsi, à l’échelle humaine, cet astre constitue une source en apparence inépuisable : il brille depuis 4,5 milliards d’années, et continuera à le faire pendant à peu près la même durée. S’il brille intensément depuis si longtemps, c’est qu’il puise son énergie au cœur des noyaux des atomes : dans les régions centrales les plus chaudes, des réactions de fusion thermonucléaire dégagent de l’énergie en transformant quatre noyaux d’hydrogène en un noyau d’hélium. Capter une fraction appréciable de cette énergie changerait radicalement les échelles de temps mises en jeu. Comment faire ? En sus des méthodes traditionnelles (capteurs solaires de type photovoltaïque ou thermique), deux projets ambitieux tentent de baliser la piste à suivre. Le premier, la construction d’une gigantesque tour solaire, est en voie d’expérimentation ; le second, la mise en orbite d’une station solaire, est encore à l’étude.
La structure la plus haute jamais construite par l’homme pourrait voir le jour dans l’outback (3) australien d’ici à 2008. La compagnie australienne EnviroMission projette d’y ériger une tour solaire de plus d’un kilomètre de hauteur, capable de produire une puissance de 200 mégawatts (4). Elle aura une section de surface voisine de celle d’un terrain de football, et se situera au centre d’un parterre de verre de plus de 7 kilomètres de rayon. Son fonctionnement est simple : la lumière solaire chauffe l’air situé sous le toit de verre, incliné de sorte que l’air chaud s’élève vers la tour. Il y est canalisé pour actionner des turbines dont la rotation produira de l’électricité 24 heures sur 24. Bien que l’énergie solaire soit, par essence, intermittente, la chaleur stockée dans le sol situé sous le collecteur de verre fournira une source d’appoint durant la nuit. Cette tour est une version géante du prototype de « cheminée solaire » inventée et construite par l’ingénieur allemand Schlaich Bergerman en 1982, près de Manzanares, en Espagne.
Quasiment toute l’énergie rayonnée par notre étoile se perd dans l’infini, la Terre n’en interceptant qu’un demi-milliardième.
Pourquoi, alors, ne pas capter ce rayonnement depuis l’espace ? L’absence d’alternance jour/nuit permet de s’alimenter au Soleil en permanence, et l’absence du filtre atmosphérique multiplie par huit la puissance reçue. Durant les années 1995-2000, la NASA a lancé le programme de recherche et de développement technologiques Space Solar Power (5) pour conduire les études préalables à la réalisation de grandes stations solaires orbitales, capables de produire plusieurs centaines de mégawatts, voire quelques gigawatts. De grands panneaux photovoltaïques capteraient le rayonnement solaire, dont l’énergie serait ensuite transmise sous forme d’ondes centimétriques. Une expérience dans ce sens a même été réalisée à La Réunion, où l’utilisation de micro-ondes a permis d’alimenter en énergie les habitants vivant dans une vallée difficile d’accès (6). D’autres pays sont intéressés par ce projet. Le Japon a annoncé, début 2001, son intention de réaliser une centrale solaire orbitale d’ici à 2040. Ce satellite serait équipé de deux panneaux géants de 1 kilomètre sur 3, et il pèserait autour de 20 000 tonnes.
Si la consommation énergétique de l’humanité devait poursuivre sa croissance actuelle sur le long terme, seul le Soleil serait capable d’y pourvoir. Avec, cependant, une date butoir théorique : celle où la croissance de la consommation imposerait de capter toute la puissance qu’il rayonne. Cette date pourrait ne pas être aussi lointaine que nous l’imaginons : 3 200 ans d’une croissance annuelle de 1 % suffisent à l’atteindre. Le Soleil est, lui aussi, fini.
Roland Lehoucq. Astrophysicien.
(1) Source : http://www.industrie.gouv.fr.
(2) Le soleil rayonne l’imposante puissance de 3,91 02610 watts, dont la Terre n’intercepte que la moitié d’un milliardième, soit 1,7 1017 watts. Ce chiffre est à comparer à la production humaine, voisine de 1,3 101310 watts – soit un millième de ce que le Soleil apporte à la Terre.
(3) L’outback est le nom donné à 80 % du territoire Australien, la partie essentiellement aride du pays.
(4) Source : http://www.wentworth.nsw.gov.au/sol.... NDLR : un mégawatt correspond, en moyenne, à la consommation instantanée (autrement dit, à chaque seconde) d’énergie d’environ 1 000 personnes.
(5) Source : http://spacesolarpower.nasa.gov. Lire également Pierre Barthélémy , « Dans quarante ans, l’électricité pourrait venir de l’espace », Le Monde, 31 mai 2001.
(6) Lire Pierre Barthélémy, « Des micro-ondes pour alimenter une vallée encaissée de la Réunion », Le Monde, 31 mai 2001.
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