Lindifférence totale vis-à-vis des questions touchant à lécosystème planétaire a été partagée par les gestionnaires du capital financier comme par les « planificateurs » du « socialisme réel »
Les enjeux
de la
« question écologique »
L’horizon de l’humanité au 21e siècle est celui d’une crise écologique mondiale d’une gravité exceptionnelle, dont tous les observateurs sérieux pressentent qu’elle sera un facteur d’accentuation du militarisme et d’aggravation des menaces, pouvant aller jusqu’à l’usage d’une arme nucléaire « maniable » (miniaturisée, dite « tactique »). La perpétuation de l’hégémonie planétaire du capital financier conduit déjà ceux qui se prétendent les héritiers de la civilisation (forgée de façon contradictoire sous la domination de la bourgeoisie) à un comportement brutalement destructeur à l’encontre des forces humaines et des ressources socio-naturelles, qu’à sa manière, cette civilisation avait façonnées historiquement. De telle sorte qu’au cours du 21e siècle, l’alternative risque bien de ne plus être entre le « socialisme » ou la « barbarie », mais entre le « communisme » et des formes inédites « d’anéantissement social ». Pour peu qu’elle soit abordée comme question planétaire, la « question écologique » devient en effet indissociable de la « question sociale ». Derrière les mots « écologie » et « environnement », il n’y a rien de moins que la mise en cause, dans un avenir désormais de plus en plus proche, de la pérennité des conditions de reproduction sociale de certaines classes ou groupes sociaux, de certains peuples, voire de certains pays tout entiers. L’humanité occupe un espace planétaire doté d’un écosystème très fragile, dont l’existence a longtemps paru « aller de soi ». La vision des « rapports entre l’homme et la nature » de la Renaissance et des Lumières, héroïque quoique déjà ambiguë, a vite laissé place à celle, parfaitement utilitaire et à courte vue, façonnée par le positivisme bourgeois du 19e siècle, dans laquelle l’homme (c’est-à-dire le capitaliste) peut exploiter la planète à sa guise. Cette approche a bénéficié plus tard du renfort de la politique et de l’idéologie stalino-scientiste (ce régime s’est purement et simplement débarrassé de théoriciens critiques très affûtés dans ce domaine). La question des « rapports à la nature » n’a pas fait non plus partie des domaines abordés par la pensée révolutionnaire, qui ne lui a pas consacré une critique politique et sociale aussi acérée que celle réservée à l’exploitation du prolétariat ou à l’oppression des dominé.e.s. L’indifférence totale vis-à-vis des questions touchant à l’écosystème planétaire a été partagée par les gestionnaires du capital financier comme par les « planificateurs » du « socialisme réel », soucieux des seules exigences d’un « développement » servant de support au pouvoir des couches sociales bureaucratiques, à leur domination et à leur exploitation des travailleurs. L’alerte concernant les émissions de gaz à effet de serre, en particulier de CO2, et le changement climatique a été donnée par les scientifiques depuis bientôt vingt ans (au tournant des années 1990). Elle n’a pas été entendue. L’anarchie de la production capitaliste [1] ; le fait que la réalisation du profit implique la nécessité de vendre, et donc de gaspiller les ressources de façon effrénée ; le besoin de valoriser le capital investi dans les industries qui constituent les piliers de la Bourse, donc de faire entrer la Chine et l’Inde, après l’Amérique latine et l’Asie du Sud-est, dans la « civilisation de l’automobile » et d’une urbanisation toujours plus discriminatoire et dévastatrice (quels qu’en soient les effets sur l’ensemble du territoire), tout cela a créé une situation marquée par une perte de contrôle de plus en plus totale des gouvernements. Mais dans beaucoup de cas, on est confronté aux conséquences directes d’une politique menée ouvertement au nom de la reproduction de la domination mondiale du capital financier. La destruction des équilibres et des ressources nécessaires à la vie se fait à un rythme qui s’accélère. En Afrique orientale et en Amérique andine, le réchauffement climatique et la crise de l’eau ont commencé à se mêler de façon inextricable. Toutes les études prévoient que ce sont les gens les plus démunis et les plus vulnérables qui seront frappés les premiers. Dans les courants se revendiquant du socialisme révolutionnaire, la prise de conscience et la résistance politique et sociale aux graves atteintes portées conjointement aux exploité(e)s et à la nature ont été tardives et insuffisantes. Le retrait ou la frilosité sur ces questions ne sont plus de mise. L’idée du communisme et sa nécessité doivent donc être pensées dans des conditions où c’est à ces questions qu’il faut répondre. Avant qu’il ne soit trop tard, la planète ne doit-elle pas être pensée comme constituant la « maison commune de l’humanité » ? Si la première tâche est de faire en sorte que l’espace mondial cesse d’être un enfer pour les trois-quarts de ses habitants, où ceux-ci sont menacés dans leur existence même par les destructions écologiques provoquées par des modes de production et de consommation ayant la propriété privée et l’individualisme de la marchandise-fétiche comme fondements, quels pas, quelles mesures peuvent y répondre ? En sachant qu’il faudra que les travailleurs et les travailleuses, que le vaste bloc social dont les contours se dessinent dans les diverses luttes de résistance et, y compris, les contre-attaques portant sur la propriété des ressources de leur pays (Équateur, Bolivie, Pérou, etc.) imposent par leur auto-activité les règles et les mesures adéquates, et les mettent en œuvre eux-mêmes et/ou les contrôlent étroitement. La concurrence entre travailleurs déchaînée par le capitalisme mondialisé Dans tous les pays, sans aucune exception, les « prolétaires », au sens que Marx donne à ce mot (ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail, de « trouver un emploi » pour vivre et faire vivre leurs enfants), subissent les effets de plus en plus brutaux d’un processus politique de libéralisation et de déréglementation de l’investissement direct à l’étranger, des transactions commerciales et des flux financiers, libéralisation et déréglementation imposées simultanément à toutes les parties du monde sur une échelle sans précédent. Les salarié(e)s des pays où les retraites par capitalisation prévalent (Chili, Argentine, États-Unis, Royaume Uni, par exemple) n’échappent pas à la mise en cause de leurs conditions d’existence. Dans ces pays, le capital ne manifeste aucune reconnaissance envers ceux dont « l’épargne salariale » alimente les marchés boursiers, et il porte le fer contre eux autant, et parfois plus qu’ailleurs. Aux yeux de ceux qui l’impulsent et qui en tirent leur richesse ainsi que leur pouvoir, le processus de libéralisation et de privatisation est encore inachevé. Pourtant il est déjà très avancé. Sa conséquence la plus nouvelle et la plus dramatique est de permettre au capital d’organiser, à l’échelle de continents ou de sous-continents, la mise en concurrence directe des salarié(e)s, des prolétaires vendeurs de leur force de travail et producteurs de plus-value. C’est déjà le cas de l’ensemble européen dont l’UE (Union européenne) est le cœur mais dont l’espace s’étend vers l’Est et la Méditerranée. C’est aussi celui de l’Amérique au nord du canal de Panama, de l’Amérique centrale et du Sud. Dans le cas des pays d’Asie, vers lesquels une part croissante des capacités industrielles mondiales ont été transférées, le capital met ces travailleurs en concurrence entre eux, en même temps qu’il se sert d’eux comme d’une arme contre les niveaux de salaires et contre les conditions de travail d’autres travailleurs presque partout dans le monde. Les moyens de la mise en concurrence des travailleurs sont la délocalisation de la production par investissement direct, mais aussi des formes multiples et très sophistiquées de sous-traitance vers les pays où les salaires sont les plus bas et la protection sociale la plus faible. La mise en concurrence directe, à une échelle proprement planétaire, de travailleurs vivant dans des rapports sociaux très inégaux face au capital et à l’État a bénéficié de la réintégration dans le marché mondial des pays « du bloc soviétique », comme de ceux qui faisaient partie de l’ex-URSS. Cette mise en concurrence directe connaît un saut qualitatif depuis le passage complet de l’élite bureaucratico-capitaliste de la Chine au capitalisme mondialisé et l’entrée de la Chine à l’OMC. Le développement des technologies de l’information et de la communication a été délibérément orienté par des groupes industriels, aidés par les principaux gouvernements, et il a fourni au capital les conditions techniques d’une optimisation de la productivité et du profit, sur la base de la dispersion, de la flexibilisation et de la précarisation des travailleurs. À mesure que les positions de ceux-ci dans la lutte des classes s’affaiblissent, le capital voit s’élargir sa possibilité de voiler le caractère social de la production, de disloquer les collectifs de travail qu’il avait lui-même aidé à faire naître dans la phase antérieure du capitalisme, et d’accroître le taux d’exploitation. L’allongement du temps de travail et l’usure physique et psychique accentuée de la force de travail (au point d’en faire une préoccupation explicite d’organismes paritaires comme le BIT) sont deux traductions de la montée en puissance d’une surexploitation qui combine les traits du 19e et du 21e siècle. La sélection des immigré(e)s et les statuts juridiques spéciaux qu’on leur impose (« l’immigration choisie »), auxquels s’ajoute « l’immigration clandestine » suivie par les services de police, extraordinairement bénéfiques aux employeurs, sont un autre instrument du choix d’aligner progressivement les salaires et les niveaux de protection sociale des salarié(e)s, qui continuent à être employé·e·s dans les pays sources des investissements et des ordres de sous-traitance, sur des niveaux sans cesse plus bas de salaire et de protection. Les centaines de cadavres qui flottent sur les eaux de la Méditerranée ou qui périssent dans les zones frontières entre le Mexique et les États-Unis symbolisent et matérialisent la barbarie d’un marché du travail mondialisé, structuré par les lois du développement inégal et combiné propres à l’impérialisme du 21e siècle. Énoncer le mot d’ordre « Prolétaires de tous les pays unissez-vous » dans les conditions d’aujourd’hui signifie trouver des parades, à commencer par des paroles, qui soient entendues des salarié·e·s menacé(e)s par le chômage et la précarité, de façon à ce que le travailleur « étranger » ne soit pas vu comme le concurrent, si ce n’est l’ennemi. « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » La question de la guerre, thème central de l’alternative « socialisme ou barbarie » il y a cent ans, et qui a été effectivement l’une des expressions majeures de la barbarie tout au long du 20e siècle, reste aussi actuelle qu’à l’époque où Jean Jaurès a prononcé cette phrase. Elle a une forte résonance chez les salarié(e)s et dans la jeunesse. Les manifestations du 15 février 2003 contre l’invasion de l’Irak par les États-Unis, le Royaume-Uni et leurs alliés, ont été le moment le plus haut du mouvement anti-mondialiste et alter-mondialiste né avec le Forum social mondial de 2001 (dans le sillage de Seattle, en 1999). Le travail pour penser l’actualité du communisme au début du 21e siècle n’en suppose pas moins un travail spécifique. Nous ne pouvons pas faire comme si la question de la guerre était « réglée ». Cette question s’énonce aujourd’hui principalement en relation avec le besoin impérialiste de contrôler les sources de matières premières, de l’énergie, de l’eau, des terres arables et des « réservoirs » dans lesquels peut puiser la biogénétique. La compréhension de ses rapports avec la concurrence inter-impérialiste, qui naît du fonctionnement du capitalisme comme tel, a reculé. La nécessité de contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit, rendue encore plus impérieuse par la domination du capital de placement, a poussé le capital états-unien (ainsi que ceux de l’UE et du Japon) à permettre à l’élite bureaucratico-capitaliste d’opérer l’actuelle transformation capitaliste de la Chine en l’espace de dix ans, là où il lui aurait fallu plusieurs décennies pour le faire par ses seuls moyens, même avec l’aide de la diaspora et de Taïwan. En mettant un puissant rival en selle, le capital états-unien a recréé la possibilité d’un conflit inter-impérialiste des plus classiques. La course aux armes nucléaires (qui s’efforce désormais de réussir la miniaturisation des bombes, par exemple) est relancée, de même que la prolifération nucléaire. La bourgeoisie japonaise va peut-être tenter de devenir une puissance nucléaire, en dépit du souvenir d’Hiroshima et Nagasaki. Les soulèvements qui peuvent résulter des atteintes écologiques les plus massives aux conditions de reproduction de peuples entiers provoqueront un recours à la guerre de la part des États les plus engagés dans la préservation de l’ordre social et politique mondial actuel, fondé sur la propriété privée des moyens de production. Ils le feront sans hésitation. Il faut ajouter à cela l’utilisation de plus en plus systématique par les possédants de formes de contrôle et de répression permanente contre les exploité(e)s et les dominé.e.s. Une dernière face terrible de la barbarie s’exprime dans le processus de privatisation, de « sous-traitance » de la guerre et de la violence, et dans l’extension et la banalisation de la torture. Partout où l’histoire a légué des ressentiments et des haines (celles que l’on qualifie d’« ancestrales »), le poids des ponctions économiques au profit de l’étranger, la constitution d’enclaves minières ou pétrolières étroitement surveillées, ainsi que la dislocation des cohésions anciennes peuvent conduire à ce que des peuples exploités ou dépossédés reportent sur ceux qui, plus petits, plus faibles qu’eux-mêmes, leur sont désignés comme étant « différents », les frustrations, les injustices et les haines dont ils ne comprennent pas (et dont on leur cache soigneusement) les causes véritables. Tel est le terreau de la violence en Afrique. Ses germes peuvent exister de façon endogène à l’état larvé, mais c’est à la faveur de la mondialisation du capital et à cause des formes prises par celle-ci que cette violence éclate. L’émancipation des femmes, dimension centrale de l’émancipation sociale Depuis des temps ancestraux, un statut d’infériorité - présenté comme naturel - a été imposé aux femmes. Cela s’est accompagné de diverses formes d’abaissement social, de violences, de marginalisation par rapport aux structures de « pouvoir ». Une œuvre de manipulation de la conscience sociale a été conduite et continue à l’être afin de briser les tentatives de battre en brèche des privilèges masculins. Des arrangements, plus ou moins subtils, d’obéissance et de consensus ont été construits et se rénovent, se réinventent. La mondialisation capitaliste comporte une conservation renouvelée et réformée, fonctionnelle aux exigences de la valorisation du capital, des formes archaïques et des formes modernes de l’oppression et de l’exploitation de la très large majorité des femmes. Aujourd’hui, la majorité de la population féminine du monde connaît des conditions de vie où s’intriquent : pauvreté extrême et exploitation ; enfermement dans des usines fournissant les marchés de biens de consommation des pays du centre ; violences quotidiennes ; statut de migrantes expropriées de tout et conditions pour une partie d’entre elles de semi-esclavage et/ou d’esclavage, notamment sous la forme de la prostitution. L’urgence d’une émancipation à la fois de la domination patriarcale et de celle de classe est à la mesure des difficultés qu’elle doit affronter. Une émancipation individuelle et collective allant dans le sens d’une opposition aux différentes formes de domination et d’oppression s’inscrit dans l’engagement pour le droit universel des êtres humains à la liberté. Actuellement, les femmes entrent massivement dans le salariat. Elles le font sous un double statut : celui de salariée et de participante à la reproduction de la force de travail dans une sphère privée établie par l’évolution du système capitaliste et au sein de laquelle l’homme dispose d’une position de dominant. Le temps du travail salarié des femmes s’articule avec le temps nécessaire à la prise en charge de personnes (enfants, mari, famille plus large suivant les pays). C’est le domaine du travail domestique qui double celui du travail salarié ; là réside la captation d’ensemble du temps de travail des femmes. Aujourd’hui, dans les pays capitalistes plus anciens où des progrès avaient été faits pour atténuer cette dépendance, son aggravation nouvelle est concomitante avec celles d’institutions dont l’existence est mise en péril ou qui ne se développent pas en lien avec des besoins élémentaires (crèche, garderie, etc.). En effet, l’attaque contre le salaire social est un des objectifs centraux du mouvement de restauration conservatrice, sociale, économique et individuelle (droit à l’avortement remis en cause ; dégradation de la reconnaissance sociale de diverses professions ; statut dévalorisé matériellement et symboliquement des dites professions de services à la personne, etc.). A l’échelle planétaire, non seulement les luttes des femmes dans leurs formes multiples participent des processus d’auto-activité tendant vers l’auto-émancipation collective, mais elles en sont une composante centrale. Inégalités et oppressions n’existent pas, simplement, les unes à côté des autres. Elles traduisent, dans la réalité concrète, le fonctionnement d’un mode de production - capitaliste - qui produit misère et oppression pour se reproduire. Les dominants chercheront, sans cesse, à présenter les inégalités, les injustices, les oppressions comme multiples et divisibles à l’infini. Cela constitue une des formes d’étayage de leur pouvoir. En ce sens, les divers mouvements de lutte et d’émancipation des femmes concourent, au sens le plus strict du terme, aux batailles pour la survie d’une partie de l’humanité. Ces actions sont partie prenante d’un mouvement plus général des exploité(e)s et des opprimé(e)s contre la barbarie, pour un socialisme-à-venir.
http://www.carre-rouge.org/article.php3?id_article=76 [ Source ]