"ÇA VA MAL FINIR !"
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-06-02/2006-06-02-830912
Éditorial par Claude Cabanes
Ça va mal finir
Un livre récent, consacré au paysage politique général de notre pays et aux grandes lignes de la société française, a pour titre éloquent : Ça va mal finir ! On peut même aujourd’hui se demander si l’auteur n’aurait pas dû choisir plutôt : « Ça va très mal finir ! »...
C’est en effet la conclusion que pourrait tirer un observateur parfaitement impartial de l’abîme qui se creuse de nouveau et un peu plus entre les hautes sphères dirigeantes du pays et le pays lui-même. En témoigne l’effarante satisfaction affichée hier par le premier ministre au cours de la conférence de presse qu’il a tenue au théâtre de Chartres : dans cette salle de spectacles, il a joué à la fois le rôle de l’aveugle et du paralytique. Aveugle - et sourd... - à toutes les tensions qui s’étendent et s’exacerbent au coeur de notre société : le contentement béat de M. de Villepin concernant la situation de l’emploi par exemple - malgré un léger clapotis favorable - a dû laisser babas les millions de ceux qui sont toujours sans emploi, et les millions d’autres qui subissent le calvaire de la précarité et de l’insécurité sociale. Et, à l’évidence, le chef du gouvernement ignore avec superbe le sentiment général partagé par la majorité du peuple français, et qu’un mot résume : l’injustice !
L’injustice, qui se manifeste parfois au coeur de la vie quotidienne, qui caractérise le spectacle de la marche de la société, et qui est vécue intimement comme une souffrance. Aucun conseiller n’a donc affranchi M. de Villepin du petit séisme moral qu’a produit l’amnistie d’un bel athlète devenu un mandarin d’état-major corrompu, Guy Drut ? On a été infiniment choqué dans la France profonde où la moindre défaillance est durement punie, et en particulier dans ces quartiers où avoir vingt ans est le plus mauvais âge de la vie, de cette « lessive » accordée à un « puissant » alors que les « misérables » paient la moindre faute cash... Aveugle, donc, le chef du gouvernement, et paralytique, qui subit depuis quelques semaines les humiliations à répétition de son propre camp... Et que penser, sinon pour rougir de honte, de cette tache qui va déchirer l’image séculaire de la France terre d’accueil et terre d’asile : des milliers d’écoliers vont être arrachés de leurs salles de classe à la fin du mois de juin parce qu’ils sont enfants d’immigrés sans papiers, et certains ne retrouveront peut-être jamais de maître ou de maîtresse dans les pays miséreux où ils vont être expulsés... Pour le premier ministre, « c’est la règle de la République » : cela prouve que nous ne nous faisons pas la même idée de la République...
Nous ne nous faisons pas non plus la même idée de l’avenir que Mme Ségolène Royal, ni la même idée de la gauche. Sa proposition de mettre sous tutelle les allocations familiales des familles à problèmes comme on dit (en somme d’appauvrir les plus pauvres) et d’encadrer militairement les jeunes délinquants (à la Légion étrangère peut-être ?) fait un tabac... à droite ! Le ministre de l’Intérieur accueille la dirigeante socialiste d’un cri : « Bienvenue au club ! », qu’il complète de ses félicitations : « Mme Royal est sur le bon chemin, c’est un soutien de poids que j’apprécie... » Le premier ministre y est aussi allé de ses encouragements : Mme Royal « avance dans des directions où d’ores et déjà nous agissons », assure-t-il... C’est affligeant. Et c’est même grave quand on sait que l’insécurité est devenue le fonds de commerce du candidat Sarkozy qu’il va achalander jusqu’à la nausée et quand on constate que la stratégie de la tension, autrement dit de la violence, est devenue la politique de la ville du gouvernement.
Ça va mal finir...