"Les modalités actuelles de la crise ne sont pas un effet de lois fatales de l'histoire, mais celles de choix politiques noués à la charnière des années soixante-dix et quatre-vingt..."

Publié le par R.B

 http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-11-25/2006-11-25-840980 [ Source ]

 

Qu'est-ce qui mérite de devenir une finalité de l'économie, sinon le développement humain ?

« Faire le choix d’une refondation anthropologique »

 Jacques Généreux, professeur à l’Institut d’études politiques (Paris) 

membre du conseil national du Parti socialiste (1).

« Comment penser autrement l’économie ? » Puisqu’il me revient d’introduire le sujet de notre débat, je ne vais pas m’interroger sur les « remèdes », les façons autres de procéder en économie, mais dresser d’abord le diagnostic de la crise des sociétés contemporaines, démarche qui permet de réfléchir à la finalité même de l’économie.

De façon provocatrice, je partirai de l’idée que les alternatives existent déjà, il s’agit moins d’inventer des formes d’organisation sociale nouvelles que de se demander pourquoi, dans des sociétés riches et développées comme la nôtre, on n’exploite pas des options connues et expérimentées - comme par exemple les associations ou les coopératives mutuelles qui constituent pourtant de véritables alternatives économiques.

Il y a un premier contresens sur le mouvement de protestation contre le capitalisme de ces trente dernières années qui consiste à penser qu’il y aurait un désengagement du politique vers la sphère économique : pour moi, il n’y a pas de déclin des capacités politiques, ni des possibilités de régulation de l’économie.

Les modalités actuelles de la crise ne sont pas un effet de lois fatales de l’histoire, mais celles de choix politiques noués à la charnière des années soixante-dix et quatre-vingt et d’un rapport de forces qui s’est imposé en faveur du capital.

La domination du néolibéralisme n’est pas, comme cela se dit parfois, le résultat d’un déclin du poids de l’État dans le système économique (car celui-ci ne fait qu’augmenter), ou d’un désengagement du politique à l’égard du marché, mais bien d’un réengagement de l’État en faveur de la privatisation de ce marché. Les moyens étatiques d’intervention n’ont pas été affaiblis.

L’enjeu d’une pensée alternative est moins de reprendre le contrôle politique sur l’économie que de se demander pourquoi l’État lui-même a échappé au contrôle des citoyens alors que l’immense majorité des travailleurs ont des intérêts contradictoires avec le système en place.

Deuxièmement, il faut se demander, dans une perspective de psychologie sociale, pourquoi ne s’expriment pas davantage de résistances à l’égard de ces choix ? Comment expliquer la servitude volontaire que cette domination suppose ? On n’a pas affaire à un affrontement de forces mais à la collaboration des individus au fonctionnement d’un système qui les fait souffrir.

Pourquoi ?

L’une de mes hypothèses est que le capitalisme actuel a façonné un cadre social qui exploite la manipulation psychologique des individus.

C’est ce que j’appelle la « dissociété ».

De nouvelles formes de production ont détruit les collectifs de travail et créé un sentiment de peur : les individus dissociés sont convaincus qu’ils doivent se comporter en guerriers, y compris contre leurs collègues de travail.

Il nous faut prendre complètement la mesure de ce sentiment de peur permanent qui tient à ce qu’on ne se reconnaît plus dans un système où l’on puisse compter sur les solidarités collectives.

Comment, dans ces conditions, penser autrement la finalité de l’économie ?

Une première alternative se présente, entre d’un côté le point de vue des partisans du productivisme qui, selon moi, réunit à la fois la pensée de Marx et les libéraux partisans du capitalisme à la fin du XIXe siècle, pour qui la finalité économique de la société devrait se résumer à l’abondance matérielle des biens, seule capable de surmonter les conflits nés de la rareté, et d’un autre côté le point de vue de ceux qui critiquent cette société d’abondance, critique qui depuis une vingtaine d’années fait consensus autour du concept de « développement durable ».

C’est un consensus douteux car il ne vise en réalité qu’à préserver le système capitaliste en se contentant d’adapter les données techniques des produits et des biens aux contraintes naturelles : il ne pose aucunement la question de savoir quelles activités humaines, quels biens méritent d’être légués de manière soutenable aux générations futures.

Le thème de la décroissance enfin, qui se veut une critique radicale du système, n’est pas plus convainquant car il est porteur, à l’heure de la multiplication des échanges et des rencontres planétaires, de repli et d’enfermement sur soi. La vérité, c’est qu’on a besoin d’une véritable refondation anthropologique du discours économique.

Qu’est-ce qui mérite de devenir une finalité de l’économie, sinon le développement humain ?

Nous sommes aujourd’hui victimes d’une erreur commune qui a consisté à fonder le concept de la société sur une conception conflictuelle de l’individu aspirant à la réalisation de soi aux dépens des autres et de la dimension collective de cet épanouissement. Notre projet doit être aujourd’hui de sauver ce qui, en l’être humain, valorise les biens relationnels, de rendre possible l’harmonisation de l’autonomie et de la solidarité.

Dès lors qu’on privilégie les biens relationnels plutôt que les biens matériels, on définit une finalité de l’être humain compréhensible par tout le monde.

Notre tâche doit être aujourd’hui de repenser une nouvelle synthèse entre le matérialisme historique et le socialisme associationniste, le projet des Lumières, sur la base d’un matérialisme assumé, qui réintègre les idées et les croyances comme un élément constitutif de l’existence matérielle.

(1) Dernier ouvrage paru : la Dissociété,

éditions du Seuil.

 

 

Publié dans THÉORIE - PRAXIS

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