Jacques BRoda -sociologue - le 26 Juin 2006 - dans La Tribune Libre de l'HUMA.

Publié le par RBBR

 

Mettre la création au coeur du projet communiste

Travailler et aimer, disait Freud. Travailler, aimer, créer, dirons-nous. La création doit être au coeur du projet communiste, non pas comme un supplément d’âme, mais comme une essence, une aspiration à être radicale. La création est un acte fondateur, autant si ce n’est plus que le travail. Nous sommes entourés et vivons des oeuvres de la création humaine. L’art. L’art pour tous. L’art par tous. La beauté, l’émotion, la création doivent être au coeur du projet d’une école communiste qui ne peut se contenter de multiplier les stages en entreprises pour résoudre la question de l’emploi.

L’emploi, le chômage, la crise du travail exercent une véritable dictature dans l’interdit de penser, de dire, de désirer autre chose, autrement. Dans le face-à-face politique actuel, c’est finalement autour du même paradigme réducteur : comment se répartir autrement les biens et les richesses que tournent les questions. Seuls les communistes commencent à le déplacer, en interrogeant les fins et les moyens, mais ils restent souvent pris dans le même paradigme, se situent dans la pensée de l’autre, ce n’est pas parce qu’on s’oppose à la pensée unique que l’on pense autrement.

Il s’agit d’une véritable dictature, y compris dans les mots. Il faut un programme anticapitaliste et non antilibéral, il ne s’agit pas de mondialisation mais d’impérialisme, de luttes des classes et non de mouvement social. Céder sur les mots, c’est céder sur les choses. Et je n’ai jamais vu un mouvement communiste se plier à la rhétorique de l’autre, du capital et de ses médias corrompus.

Oui, nous aspirons à beaucoup plus de radicalité, et d’anticonformisme, d’invention et de créativité. D’abord la création verbale. Si la politique est une affaire de discours, elle doit l’être aussi de paroles. Nous l’avons déjà dit, répété, crié, peu de chose bouge.

La dictature du prolétariat, c’est aujourd’hui continuer à penser que le travail est central, l’emploi premier, et que le reste suivra. Ce n’est pas vrai. Marx parle d’individu intégral, celui qui développe toutes ses capacités. Toutes. Poète, peintre, danseur, sculpteur, comédien, artiste, chacun peut l’être, en son for intérieur. Certes il ne faut pas renoncer à révolutionner le travail, à le désaliéner en son essence, donc exproprier les expropriateurs, et faire de la gestion un acte supérieur de la démocratie. Mais cette chape de plomb ne doit pas empêcher, de dire, de vivre tout autre chose. Toutes les autres choses.

Il n’y a pas que les rapports sociaux de production, de travail, il y a les rapports sociaux de consommation, de distribution. Il y a d’autres rapports : le rapport sexuel, le rapport amoureux, le rapport créatif, le rapport social d’humanité. Il n’y a pas de centre, mais un complexe de rapports.

Il ne suffit pas de cautionner la Gay Pride pour interroger le rapport sexuel en son essence, ou lutter contre l’homophobie pour en savoir plus sur la différence, l’altérité, la « mêmeté » et l’identité en sexualité, et en sentimentalité.

La société communiste est celle des producteurs et des créateurs associés. Maïakovski l’avait compris. La création ouvre un espace de subjectivation, d’invention, d’humanisation,

de gratuité sans précédent et fondateur d’une socialité sans haine. C’est aujourd’hui et maintenant que chacun crée les espaces de sa vie, dans ce monde d’aliénés. C’est une lutte, un combat, une volonté. Au-delà de l’aspect catégoriel, les intermittents nous l’ont transmis ce goût, cette pêche du geste qui rompt le quotidien.

La création doit être au coeur du projet communiste, et nous devons commencer aujourd’hui, en créant un autre langage que la langue de bois. Nous démarquer de la langue de l’autre, du paradigme de l’autre. Il nous rend fou. Ce n’est pas ce que nous voulons, mais nous parlons, et à terme pensons comme lui.

Comment rendre l’autre fou ? Le capital y réussit à merveille. Il aliène toutes les activités de sublimations à un show télévisé, la politique à une mascarade, dont nous devons absolument nous défaire, et l’école, surtout l’école, à une déformation permanente des pulsions créatrices.

Je veux bien que l’on passe des centaines d’heures à apprendre aux jeunes à écrire des CV, sans qu’ils n’aient jamais décliné de leurs vies leurs propres identités. Le parcours de vie, c’est le discours du maître incorporé dans l’angoisse du chômage. Chacun vit son identité en cachette, ou en communauté. Ça l’empêche de devenir fou.

Il est inquiétant qu’au détour du CPE,

les syndicats d’étudiants demandent plus

de passerelles, de professionnalisation, de stages rémunérés certes, alors qu’un jeune garçon

sur deux est toxicomane !

Concrètement, sans attendre, dans nos pratiques, développer toutes les formes d’inventivités humanisantes, elles seront qualifiantes par effets

de ricochet. Inscrire dans le projet débattu l’urgence d’une politique de création et de formation qui double l’actuel, en quantité et en qualité.

par Jacques Broda, sociologue

Article paru dans l'édition du 26 juin 2006.

 

Publié dans LANGUES DU MONDE

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